le monde littéraire de Laurent Coos

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Transcendance


Transcendance

    

     Une terreur glaciale s’empare de lui.

     Il se retourne.

     Personne.


Le soir tombe lentement sur Fribourg, accompagné de fines gouttelettes de pluie. Il règne un calme étrange, les rues de la vieille ville sont désertes. Les lampadaires s’allument à l’unisson, mais leur halo jaune peine à percer la brume de cette fin d’après-midi.

 

José déambule le long de la Sarine, transi de froid et de peur, tandis que l’alcool se répand dans son organisme comme une drogue irrésistible. Il boit une dernière lampée de bière, avant de lâcher la bouteille qui se brise sur le sol. Il glisse ensuite une main dans la poche de son blouson et ses doigts se crispent sur le petit sachet de poudre blanche. Il est toujours là et cela le rassure un peu. Mais il éprouve toujours cette horrible sensation d’être observé ou suivi. Il s’arrête et allume une Chesterfield, à l’aide de son vieux zippo, tout en scrutant les alentours.

 

Tout à coup, son attention est attirée par un homme très grand, figé comme une statue près d’un réverbère. Ses mains sont enfouies dans les poches d’un long manteau et il porte un chapeau. José repart d’un pas pressé, son cœur s’accélère. Heureusement, son immeuble n’est plus très loin. Dans sa tête, se bousculent une foule d’images. Il emprunte une ruelle dans laquelle s'égrènent des petites boutiques aux façades gothiques, d’où émane le charme d’une époque lointaine.

José jette un coup d’œil derrière lui. L’inconnu le suit.   

Il accélère. Ses pas résonnent sur les pavés mouillés. Le sang bat à ses tempes, ses viscères se tordent dans son abdomen. Il arrive au pont de Berne dont la structure de bois jaillit de la brume, presque irréelle.  

C’est alors qu’éclate un coup de feu, dont l’écho semble se perdre dans les profondeurs de la cité. Une douleur fulgurante inonde sa poitrine, lui déchire le thorax. Son corps bascule dans le vide, le monde n’est plus qu’ombre. Il lutte de toutes ses forces, il veut la rejoindre, la revoir une dernière fois.

Le brouillard se dissipe, la douleur s’estompe. Il reprend ses esprits et s’élance sur le pont. Une fois de l’autre côté, il aperçoit enfin sa maison où l’attend sa bien-aimée. Il se sent léger ; il accélère encore.

Il franchit la porte de sa demeure, gravit les escaliers, et fonce dans la chambre à coucher.

Amelia est étendue sur le lit, complètement nue, les yeux fermés et la bouche entrouverte. Plongée dans un état second, elle exhibe un corps de déesse surmonté d’un visage d’ange. Ses cheveux blonds comme les blés se déroulent en fines boucles sur l’oreiller. Sa poitrine, d’une beauté à damner un saint, est une invitation à la débauche.

   « Comme elle est belle ! »

 

José s’attarde à la contempler. Elle est l’incarnation de la féminité, enjôleuse et ravageuse. Elle se met à gémir tout en caressant la soie humide de son sexe ; son corps est parcouru de délicieux frissons. Sa langue glisse sensuellement sur  ses lèvres, plongée dans un fantasme dont elle seule a le secret.

Elle l’attend.

José tente de l’approcher. La jeune femme ne remarque pas sa présence. Ses mains remontent le long de son corps, effleurent sa poitrine aux mamelons tendus de désir.  Il veut se jeter sur elle, lui faire l’amour une dernière fois, mais il n’en est plus capable.

Ses pensées torturées se tournent alors vers la seringue qui traîne sur la table de nuit. La drogue la plonge dans un état d’ivresse euphorique, mais il sait que bientôt elle sera en manque, qu’elle retombera dans la dure réalité.

   - Que deviendra-t-elle sans lui ?

 

Soudain, il perçoit des bruits de pas dans l’escalier. Trop tard. L’homme au chapeau jaillit dans l’embrasure de la porte. Un sourire hideux fend son visage. Il observe la scène durant quelques secondes, puis, dans un mouvement lent et précis, pointe son arme en direction d’Amelia. Elle ne l’a pas entendu venir et continue de se tortiller sur le lit, insouciante du danger qui la menace. José hurle de toute ses forces, peine perdue.

Amelia ouvre subitement les yeux, l’homme fait feu.

Le sang éclabousse les murs, constelle d’étoiles rouges la blancheur immaculée des draps.


Le tueur s’enfuit tandis que José tente vainement de porter secours à sa compagne. Mais il est impuissant. Il lui offre alors le baiser le plus doux qu’il ne lui ait jamais donné, celui qui provient du plus profond de son âme, des tréfonds de son cœur. Les yeux grands ouverts de la jeune femme semblent lui sourire. Sauf que la petite flamme qui les faisait briller s’est à jamais éteinte.

 

Désespéré, hurlant à la mort, il se précipite dehors et reprend le chemin par lequel il est venu. L’homme au chapeau s’est volatilisé. Il est retourné dans ce monde qui ne lui appartient plus. L’univers de la drogue.

José retourne vers le pont.

La lumière bleue des gyrophares éclabousse les monuments de la vieille ville. C’est alors qu’il voit son corps gisant dans une marre de sang. Les secours s’activent autour de lui. Il observe la scène depuis en haut.

Il est allongé sur le sol, les bras en croix. Ses yeux, identiques à deux billes de verre, fixent le ciel, aussi morts que ceux d’Amélia. De sa main entrouverte, s’écoule la précieuse poudre blanche qui se répand sur les pavés, entrainée par la pluie dans les égouts.

   « Cette maudite came pour laquelle il a sacrifié sa vie et celle de sa compagne ! »

 

Tout à coup, la brume et la pluie disparaissent de son champ de vision, remplacées par une merveilleuse clarté qui semble venir de partout à la fois. Une lumière d’une intensité et d’une beauté extrême. La silhouette d’Amelia se dessine à l’embouchure d’un long tunnel, elle l’invite à la rejoindre. Il reste interdit durant un bref instant, sans même chercher à comprendre ce qui lui arrive, avant de se laisser entraîner vers elle.

Leurs deux corps spirituels convergent en une étreinte fusionnelle, dans une vibration unique, avant de plonger dans les abymes de l’éternité.

La mort est venue les chercher.

Juste avant la nuit.




21/03/2011
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